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Art du papier

Structures en papier "alimentaire"



     Il m'a été dernièrement permis de travailler, de façon exceptionnelle, avec l'artiste plasticien contemporain Patrice Lefevre. Cet artiste dans l'optique d'une résidence avec l'entomologiste Frédéric Hauwel et d'une exposition temporaire devant se dérouler du 30 mars au 11 novembre 2012 à La Cité des insectes (Chaud, 87120 Nedde) m'a demandé, pour une installation, de concevoir un papier spécial et d'assembler une structure particulière en respectant son cahier des charges. 

     Il s'agit ici d'une expérience. Son travail devait ressembler à un cabinet de curiosité. En plus des nombreux dessins d'insectes réalisés à main levée, Patrice Lefevre désirait avoir une oeuvre "dynamique" qui devait évoluer tout au long de l'exposition. Il imagina ainsi une structure en papier dont la forme et les dimensions correspondaient en réduction à la salle d'exposition au sein de laquelle ses oeuvres devaient prendre place. Cette structure, placée dans une "boîte" en plexiglas sur mesure et positionnée sur un socle éclairé contenant des insectes, devait être dévorée par ces derniers.
     Cet artiste a dans ses oeuvres un intérêts marqué pour des processus cycliques dans lesquels les effacements ou les "dégradations" de structures prennent place au sein d'expérimentations spatialisées. Il recherche notamment les états possibles ou momentanés de formes plastiques appelées à revenir au néant. Cette oeuvre s'inscrit dans ce mouvement qui d'une certaine façon nous questionne sur la vanité ou la futilité des constructions humaines et de leur préservation mis en parallèle avec leur disparition presque inéluctable régie par la nature elle-même.
     Les insectes retenus pour cette expérience artistique sont des fourmis de la famille des Messor barbarus aussi connues sous le nom de fourmis "moissonneuses". Il s'agit de granivores qui n'ingurgitent que des matières liquides. Elles récoltent principalement des graines qu'elles transforment en une sorte de pâte après les avoir imbibé de leur salive. Cette salive, constituée en partie d'amylase, fractionne les molécules d'amidon en molécules de glucose qu'elle dissout. Rappelons ici que le papier, suivant sa fabrication, est composé presque exclusivement de cellulose et par conséquent est une source de glucose.
     La difficulté était donc de trouver un papier "alimentaire" offrant à la fois la solidité d'un matériau résistant dans le temps et pouvant être assemblé, et la fragilité et l'attrait d'un aliment adapté à ces insectes.
     J'ai par conséquent proposé à Patrice Lefevre de réaliser un papier spécial. Ce papier vélin fabriqué à la cuve est un papier constitué de fibres de coton (cellulose "pure"). Il n'a, dans un premier temps, pas reçu d'encollage dans sa masse. Après le puisage des feuilles, une première mise en presse puis un séchage sous feutres, ces feuilles ont été encollées avec un sirop de glucose associé à un sirop de saccharose. Après un second séchage et un nouveau pressage, ces feuilles ont été lissées.
     Du fait de ce traitement et de la nature même des fibres utilisées, le papier a perdu une partie de sa résistance mécanique (il est devenu cassant et on a pu observer un important flocage (ondulation) lors d'écarts hygrométriques normalement peu conséquent). Mais il est malgré tout resté assez résistant pour être assemblé. Pour l'assemblage, il a fallu pour les côtés les plus longs et pour les angles, renforcer le papier. Les quelques points collés ont été réalisés avec une colle de farine.

     Cette structure de papier répondait ainsi aux exigence d'une oeuvre devant être placé en contact avec des insectes.

     Malgré cette première réalisation et pour être certain que cette installation fonctionnerait, il m'a été ensuite demandé de réaliser une seconde structure.

     Contrairement à la première, celle-ci devait comprendre dès son puisage des éléments nutritifs nécessaires aux fourmis. Ainsi, dans la cuve, l'eau a été remplacée par un mélange de sirop de glucose et de saccharose, et il m'a fallu associer aux fibres de coton un mélange pilé et non travaillé de graines (navette, lin, millet etc), d'insectes séchés (sauterelles, vers de farine) et de pollen. Une fois le papier sec, il s'est présenté sous une forme beaucoup moins rigide que le papier précédent et assez friable du fait des nombreux éléments exogènes. L'assemblage a été réalisé avec les mêmes méthodes que pour la première structure.

Dans la présentation finale de l'exposition, la première structure a été retenue. On a déposé au sol quelques éléments nutritifs complémentaires.

     Je tiens à remercier ici, encore une fois, Patrice Lefevre de m'avoir associé à ce projet artistique qui fut pour moi un véritable paradoxe, ayant dû inventer, en tant que restaurateur, un papier qui appelle lui-même ses déprédateurs.

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